La droite investit dans l’écologie

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Conscients de la poussée sociologique et électorale des écologistes, Les Républicains multiplient les livrets de propositions sur les thèmes environnementaux en s’appuyant sur les valeurs traditionnelles de la droite. Ils s’appuient sur des experts issus du monde de l’entreprise et veulent concilier réduction des émissions de gaz à effet de serre et croissance.

14 juin 2021 à 7 h 00 — Diane de Fortanier avec Thierry Dupont

L’écologie vue par Les Républicains — ©️ Fred-niro, CC

•             EELV a obtenu 3,06 millions de voix aux élections européennes en 2019, quand LR n’en a obtenu que 1,92 million. Aux municipales de 2020, LR obtient davantage de voix mais EELV sort symboliquement vainqueur des élections. Les Verts dirigent sept villes de plus de 100 000 habitants, alors qu’ils n’en avaient qu’une.

•             La Commission européenne, présidée par Ursula von der Leyen (PPE) présente son mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE, le 14 juillet. L’objectif est de mettre en place la même tarification carbone sur les produits importés que sur les produits européens intensifs en émissions.

« Il y a cinq ans j’aurais dit “les sénateurs vont faire le ménage et rendez-vous en commission mixte paritaire”, mais là… » Cette analyse d’un lobbyiste de l’industrie sur le projet de loi Climat et résilience, dont l’examen débute ce 14 juin en séance publique au Sénat, est déjà vérifiée par le passage du texte en commission dans la Chambre haute. Très peu d’amendements de suppression d’articles ont été adoptés à la demande des rapporteurs, tous membres de la majorité de droite.

L’esprit est à l’« amélioration » du projet de loi issu de la Convention citoyenne, par la prise en compte des retours des élus locaux, du Conseil d’État et des PME. « À l’Assemblée, le groupe LR s’était très majoritairement abstenu sur le texte (99 abstentions, 3 voix contre, 1 voix pour, ndlr) alors qu’il avait sévèrement taclé la Convention citoyenne », note un autre lobbyiste, qui conclut à une opposition sur les modalités d’élaboration du projet de loi via la participation citoyenne, mais pas sur le fond.

Changement d’attitude

À l’approche des régionales et des départementales qui se tiennent fin juin, le calendrier électoral joue, estiment plusieurs sources côté privé. Mais pas seulement. « Je note un changement d’attitude par rapport à l’écologie chez mes collègues du Sénat, depuis un an à peu près », observe Didier Mandelli, sénateur de la Vendée et coordinateur de LR à la commission du Développement durable sur le projet de loi Climat. Il en veut pour preuve la fréquentation du groupe de travail interne sur l’écologie qu’il anime avec Jean-François Husson au sein du groupe parlementaire. D’une dizaine de membres actifs avant le premier confinement, il est passé à une trentaine en juin 2021.

Le thème est devenu incontournable, même pour une droite traditionnellement plus tournée vers les enjeux économiques. « La transformation écologique est totalement intégrée, même par les grands groupes mondiaux », estime Guillaume Labbez, fondateur de Commstrat. « Banques et fonds de pension orientent leurs investissements en conséquence. Les acteurs économiques ne nous ont pas attendus sur les questions écologiques, pour des raisons économiques ou d’image. Le monde agricole change aussi », abonde Didier Mandelli. Le sénateur a vu sa commission du Développement durable, créée en 2012, prendre de l’ampleur au fur et à mesure des évolutions sociologiques. « Il y a eu un glissement vers ces sujets, dont le projet de loi Climat constitue une étape importante », selon lui.

Pression électorale

La poussée électorale des Verts, aux élections européennes de 2019 où ils ont dépassé LR en nombre de voix, puis aux municipales dans les grandes villes l’année suivante, a été un électrochoc dans le parti. Le député Raphaël Schellenberger explique : « il y a eu une prise de conscience que la droite n’est pas audible sur l’écologie, assimilé à une idéologie politique incarnée par la gauche et le parti politique qui a pris son nom ».

« J’ai toujours considéré que la droite avait tort de délaisser des sujets comme la culture et l’écologie pour les laisser à la gauche en disant que ce n’est pas notre électorat », estime de son côté l’eurodéputée Agnès Evren. C’est précisément ce que s’est dit Ferréol Delmas, alors président des Jeunes LR de la Sorbonne, lorsqu’il a créé son think tank « Écologie responsable », en 2018. « Avec d’autres jeunes, on s’est rendu compte que ce sujet n’était pas abordé », se souvient l’étudiant.

Trois lignes

Les Républicains ont depuis voulu mettre les bouchées doubles, en ordre dispersé. Du côté du parti, qui s’est lancé dans un chantier de refonte idéologique en rebalayant tous les sujets sous le format de « conventions thématiques », deux rendez-vous abordent la question écologique. Une convention sur le réchauffement climatique en novembre 2020, puis une convention sur l’air, l’eau et les déchets en mai 2021 réunissent en fin d’après-midi des « experts » pour des tables rondes, avant une présentation des propositions par des élus. Un livret résume les constats, donne les résultats d’un questionnaire réalisé auprès des militants et formule des propositions. Les députés de la « task force environnement » lancée par le président du groupe parlementaire Damien Abad en septembre 2020 prévoyaient de rendre public leur travail en novembre. Deux reports plus tard, 56 propositions sont présentées le même jour que la convention sur l’air, l’eau et les déchets.

« La principale difficulté de notre parti sur ces questions, c’est le nombre de lignes, ironise Didier Mandelli. On parle à trois voix : le siège du parti, l’Assemblée nationale et le Sénat ». Comme le sénateur vendéen, le rapporteur général du budget au Sénat Jean-François Husson a la réputation d’être un écolo de droite. Tous deux déplorent de ne pas même avoir été appelés par leurs collègues du parti et de l’Assemblée pour être associés aux propositions, émises au nom de LR en vue de la présidentielle.

Experts du privé et élus

Les panels d’experts mobilisés pour les conventions thématiques comprennent des élus et des personnes en poste dans de grandes entreprises – Total, Suez, Paprec, Air Liquide… Interrogé sur ses références en matière d’écologie, Damien Abad cite l’ancien ministre de l’Environnement Jean-Louis Borloo, le philosophe Luc Ferry, l’entrepreneure Eva Sadoun et le think tank du maire de Metz François Grosdidier (Valeur écologie, dont le site internet est inactif depuis 2014). Le nom du député Julien Aubert revient souvent. « On n’a pas découvert le sujet au moment du texte Convention citoyenne, on a beaucoup travaillé pendant quatre ans, le livret (de la task force, ndlr) synthétise notre travail législatif et lui apporte du sens », complète Raphaël Schellenberger.

Les grands absents sont les représentants d’ONG. « On est très peu invités pour défendre nos positions », confirme Samuel Leré, responsable du plaidoyer de la Fondation Nicolas Hulot. « C’est très compliqué de nouer des liens avec les élus LR au Parlement européen et au Sénat. Nous voyons les rapporteurs qui n’ont pas trop le choix, comme sur le projet de loi Climat », explique-t-il.

Posture politique

Dans les grandes lignes, Les Républicains aiment à rappeler longuement que le premier ministère de l’Écologie a été créé sous la présidence de Georges Pompidou, que Jacques Chirac a prononcé la fameuse phrase « notre maison brûle et nous regardons ailleurs » en 2002 et que le Grenelle de l’environnement est une initiative de Nicolas Sarkozy. « Et puis après nous n’étions pas au pouvoir », ajoute Agnès Evren.

L’eurodéputée estime que l’écologie « de gauche » est synonyme « d’appauvrissement par la décroissance, de sectarisme par l’amalgame avec les autres sujets de société et de punition avec la fiscalité punitive ».

Progrès et enracinement

A contrario, l’écologie « de droite » est « positive ». « On ne peut pas parler de décroissance alors qu’il y a des pays pauvres, la droite a une logique de’développement durable’ », explique Didier Mandelli. Le concept est repris dans tous les documents de LR, et décliné dans ses trois composantes : sociale, économique et environnementale. Croyance dans le « progrès et l’innovation » et « enracinement » parachèvent la colonne vertébrale idéologique de la droite sur l’écologie.

Identifiant la décarbonation comme une priorité, les propositions font la part belle au nucléaire, avec la construction de six nouveaux EPR et la prolongation de la durée de vie des centrales existantes, quand l’éolien est rejeté en bloc. Un expert issu du privé consulté par Les Républicains juge à part lui « démagogique » ce moratoire sur l’éolien « destiné à satisfaire une certaine frange de l’électorat ».

Les Républicains préfèrent sans surprise la fiscalité incitative, par exemple à travers les taux de TVA réduits pour la réparation des pièces détachées. Plus question d’évoquer une hausse du coût du carbone, comme le proposait François Fillon en 2017, les Gilets jaunes sont passés par là.

La taxe carbone aux frontières de l’Europe fait en revanche partie des demandes de la droite. La mesure rejoint le thème de la « souveraineté », qui se traduit aussi dans les projets de LR par une frilosité nouvelle vis-à-vis des accords commerciaux. Les députés de la task force environnementale veulent qu’une clause de respect de l’Accord de Paris soit intégrée dans les négociations menées par l’Union européenne et les pays tiers.

Samuel Leré, de la Fondation Nicolas Hulot émet plusieurs critiques. Pour lui, la droite fait l’impasse sur la question de la « sobriété », notamment en ce qui concerne l’automobile. Pas question de diminuer les déplacements en voiture, le groupe LR de l’Assemblée mise sur la production de véhicules propres fabriqués en France, le développement des biocarburants et l’« investissement massif dans la recherche ». « Quand on ne sait pas comment faire pour réduire la consommation, on dit que ce sera la recherche et le progrès qui y pourvoiront », observe-t-il. Et de remarquer que le chiffrage de la baisse des émissions de CO₂ attendues n’est pas fait.

« On peut croître tout en menant une politique de réduction des émissions de gaz à effet de serre », estime Raphaël Schellenberger. Pour cela, LR propose d’investir massivement dans la rénovation énergétique, et avance le chiffre de 8 milliards d’euros par an. « Ils ont évolué sur le sujet, cela se voit qu’ils ont beaucoup travaillé et compris l’enjeu. Cela se traduit par la réécriture du titre’Se loger’au Sénat », analyse Samuel Leré.

Impasses sur l’agriculture

Le chargé de plaidoyer fait remarquer l’absence d’évocation des pesticides dans les différents documents produits par LR. De fait l’agriculture semble être le tabou de l’« écologie de droite ». Côté Sénat, Didier Mandelli explique que la Chambre haute est « très marquée par l’agriculture, dont bon nombre de sénateurs (dont lui-même, ndlr) sont issus ». Pour lui, la question est avant tout : « que faut-il faire pour qu’un agriculteur puisse vivre de son métier ? ». « Il faut accompagner les agriculteurs dans leur compétitivité pour que les Français puissent consommer local », juge de son côté Raphaël Schellenberger. Le député Julien Dive va plus loin : « sans doute faut-il rouvrir un débat sur la sélection variétale – je ne parle pas ici d’OGM. Les nouvelles techniques de sélection des plantes (NBT), est-ce un gros mot ? Non. C’est une solution qui permet de se passer des intrants. » Pour Didier Mandelli, la transition dans l’agriculture ne dépend pas du niveau législatif mais d’un changement de culture dans les organisations agricoles. « C’est une vision de l’écologie qui ressemble beaucoup à celle de La République en marche », conclut Samuel Leré. « La seule chose qui les démarque de LRM c’est le refus total de l’éolien », confirme le représentant d’une fédération de l’énergie. Une position clivante pour se différencier auprès d’une base électorale en partie commune.